En matière de construction, le maître de l’ouvrage n’est pas le seul à pouvoir introduire une action en justice.
Un constructeur peut en effet être amené à intenter un recours contre un autre constructeur ou son assureur à des fins récursoires.
Cette action, qu’elle soit de nature contractuelle ou délictuelle, doit être introduite dans un délai de cinq ans à compter du jour où le constructeur auteur du recours a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action.
Il s’agit là d’une application classique des règles de la prescription des articles 2224 et suivants du Code civil.
La révolution résulte d’un revirement jurisprudentiel heureux et fortement attendu par la pratique.
En effet, par arrêt en date du 14 décembre 2022 (pourvoi n°21-21.305), la troisième chambre civile de la Cour de cassation vient modifier sa jurisprudence antérieure et pose désormais le principe selon lequel l’assignation principale en référé du maître de l’ouvrage, si elle n’est pas accompagnée d’une demande d’exécution en nature ou en paiement, ne fait pas courir le délai de prescription du recours entre constructeurs.
Jusqu’alors, pour interrompre le délai de prescription de leur action récursoire, les constructeurs étaient tenus d’introduire des actions au fond avant le dépôt du rapport d’expertise, sans savoir si, in fine, leur responsabilité serait susceptible d’être recherchée.
Sous l’égide de l’ancienne position de la Cour de cassation, les constructeurs étaient alors tenus de multiplier les recours préventifs, avant même que l’existence, la nature et la cause des désordres soient identifiées, pour anticiper une hypothétique mise en cause ultérieure par le maître de l’ouvrage.
Une telle pratique nuisait à une bonne administration de la justice, encombrant les juridictions de multiples assignations préventives pour un seul et même ouvrage, dont certaines s’avéraient finalement inutiles dans la mesure où le constructeur à l’origine de l’assignation préventive n’était finalement pas recherché dans sa responsabilité par le maître d’ouvrage ou les autres co-constructeurs.
L’arrêt du 14 décembre 2022 est venu corriger ce système intenable.
Dans le cadre de cette affaire, un office public de l’habitat avait entrepris des travaux de restructuration et de réhabilitation d’un immeuble, dont la maîtrise d’œuvre avait été confiée à un groupement d’entreprises. L’une des sociétés de ce groupement avait fait appel à un sous-traitant.
Des désordres étant apparus après les travaux, l’office public de l’habitat a saisi le Tribunal administratif d’une requête le 13 septembre 2011 et a obtenu la désignation d’un expert judiciaire par ordonnance du 1er décembre 2011.
Par jugement du 16 janvier 2016, par la suite confirmé en appel selon arrêt du 15 mars 2018, plusieurs constructeurs ont été condamnés à verser diverses sommes à l’office public de l’habitat pour remédier aux désordres.
Par exploit du 6 mars 2018, l’un des constructeurs et son assureur en ont assigné un autre et son assureur afin d’obtenir le remboursement des sommes qu’ils avaient payées à l’office public de l’habitat.
La Cour d’appel de Paris a, par arrêt du 28 mai 2011, déclaré ce recours subrogatoire irrecevable comme étant prescrit en application de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation au motif « que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant se prescrit par cinq ans à compter du jour où le premier a fait l’objet de la demande indemnitaire qui motive ce recours ; que ce délai ne peut courir à compter d’une requête en référé expertise ».
En l’espèce, la Cour d’appel a donc retenu, comme point de départ du délai de prescription, la date de la requête en référé-expertise, soit le 13 septembre 2011.
Dans cette hypothèse, le recours entre constructeurs pouvait donc être introduit jusqu’au 13 septembre 2016.
La Cour de cassation a cassé et annulé partiellement cet arrêt d’appel de ce chef, au visa des articles 2219 et 2224 du Code civil et L.110-1, I du Code de commerce, considérant que « le constructeur ne pouvant agir en garantie avant d’être lui-même assigné aux fins de paiement ou d’exécution de l’obligation en nature, il ne peut être considéré comme inactif, pour l’application de la prescription extinctive, avant l’introduction des demandes principales. Dès lors, l’assignation, si elle n’est pas accompagnée d’une demande de reconnaissance d’un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l’action du constructeur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures. »
Cette solution est finalement relativement logique, puisqu’en effet, ce qu’est qu’au moment de l’assignation au fond que le constructeur prend réellement connaissance des faits qui lui sont reprochés, et peut exercer à son tour ses propres recours.
Ce revirement jurisprudentiel était particulièrement attendu des praticiens de la matière, et très certainement des juridictions du fond.
Son importance est telle que cet arrêt a fait l’objet d’une double publication au Bulletin et au Rapport de la Cour de cassation.
Pour preuve, ce nouveau principe est d’application immédiate aux instances en cours.
Il est à parier qu’un retour « du terrain » a convaincu la haute juridiction qu’il devenait urgent de modifier sa jurisprudence antérieure.
Reste désormais à éclaircir la notion de « demande de reconnaissance d’un droit », la doctrine commençant déjà à s’interroger sur cette notion, et notamment sur le point de savoir si une demande en référé visant à obtenir la réalisation de travaux conservatoires urgents revêt cette qualification.
A suivre donc…
Mathilde POLSINELLI, avocat
Benjamin LAJUNCOMME, avocat associé