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De l’exercice du droit de préemption de la SAFER en cas d’adjudication immobilière ordonnée par le juge-commissaire

Victoire Defos du Rau

Victoire Defos du Rau

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04.04.2024 actualités Droit civil

Le code rural et de la pêche maritime ouvre aux sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural un droit de préemption en cas d’aliénation  à titre onéreux de biens immobiliers à usage agricole et de biens mobiliers qui y sont attachés, ou de terrains nus à vocation agricole (articles L. 143-1 et suivants du code rural).

L’exercice de ce droit est conditionné à plusieurs règles de fond et de forme, également régies par le  code rural et de la pêche maritime (articles L. 143-8 et suivants du code rural).

Il peut être total ou partiel, l’article R. 143-4 du code rural précisant les modalités d’exercice du droit de préemption partielle, et les options ouvertes au vendeur.

Une possibilité de discussion du prix est par ailleurs instaurée au profit de la SAFER par l’article L. 143-10 du code rural.

Qu’en est-il dans le cadre d’une aliénation onéreuse à la barre du tribunal  d’un ensemble immobilier dépendant d’une procédure collective, autorisée par le juge-commissaire?

La SAFER dispose-t-elle de la faculté d’exercer un droit de préemption partielle, l’autorisant l’acquisition d’une partie seulement des biens aliénés, ou le paiement d’un prix inférieur à celui constaté au terme de l’adjudication ?

La loi spéciale dérogeant à la loi générale, il convient de se référer en premier lieu au régime instauré par le code rural en matière d’adjudication (articles L. 143-11 et suivants et R. 143-13 et suivants du code rural).

L’article R. 143-13 du code rural prévoit l’application, en cas d’adjudication volontaire ou forcée, des dispositions de l’article L. 412-11 du même code, relatives au droit de préemption du fermier, lequel bénéficie de la faculté de se substituer purement et simplement à l’adjudicataire, à travers la régularisation d’une déclaration de substitution.

L’article L. 143-11 précise que la SAFER dispose d’un délai d’un mois à compter de l’adjudication pour notifier sa déclaration de substitution.

Dès lors que la SAFER ne peut que se substituer purement et simplement à l’adjudicataire, toute préemption partielle est donc exclue.

L’article L. 143-12 écarte en outre toute application des dispositions de l’article L. 143-10 relatives à la fixation du prix.

Le régime spécial des procédures collectives doit, en second lieu, être respecté.

Une préemption partielle sera d’autant moins envisageable dans le cadre d’une adjudication ordonnée par les organes d’une procédure collective, en application des disposition des articles L. 642-18  et R. 642-22 du code de commerce.

Dans un arrêt du 19 septembre 2012, publié au Bulletin, la Cour de cassation avait rappelé que la SAFER ne pouvait pas se prévaloir des dispositions de l’article L. 143-10 du code rural et de la pêche maritime pour modifier les conditions de la cession de gré à gré autorisée par le juge-commissaire (Civ. 3e, n° 10-21.858).

Le même raisonnement doit être adopté dans la cadre d’une cession par adjudication.

La décision ordonnant la vente d’un immeuble ou d’un ensemble immobilier expressément désignés, et fixant le prix et les conditions de la vente, bénéficie de l’autorité de la chose jugée, de sorte que l’adjudication, et toute préemption subséquente, ne peuvent porter que sur la totalité des immeubles visés dans l’ordonnance, sans exclusions ni adjonctions, aux prix et conditions qu’elle a fixés, sans possibilité de discussion du prix.

Par jugement du 23 janvier 2024, non frappé d’appel, le tribunal judiciaire de BORDEAUX a confirmé cette analyse.

Dans l’espèce qui lui était soumise, la vente aux enchères d’un ensemble immobilier avait été ordonnée par le juge-commissaire, en un seul lot, avec une mise à prix déterminée, sans possibilité de baisse. Une adjudicataire a remporté les enchères.

La SAFER avait notifié dans le mois de d’adjudication une préemption partielle portant sur certains des immeubles objet de la vente, pour un prix inférieur, non seulement au prix d’adjudication, mais également à la mise à prix fixée par le juge.

La préemption notifiée proposait au tribunal de suivre la procédure instituée par les dispositions générales du code rural, en cas d’aliénation amiable reçue devant notaire.

Le tribunal a prononcé la nullité de la préemption partielle exercée, au visa des articles L. 143-1, L. 143-11, L. 143-12, L. 412-11 et R. 143-13 du code rural, retenant :

* que la SAFER ne pouvait valablement préempter une partie seulement des parcelles mises en vente, ni proposer un prix moindre que celui fixé par le juge-commissaire, sauf à modifier les conditions de la vente

*que l’acte de préemption partielle ne saurait valoir offre de substitution pure et simple à l’adjudicataire au sens des articles L. 143-11, R. 143-3 et L. 412-11 dès lors qu’il ne faisait aucune référence à une substitution et qu’il offrait au contraire au tribunal la possibilité, soit d’accepter une préemption partielle au prix proposé, soit d’accepter une préemption partielle avec indemnisation des biens non compris dans l’offre, soit d’exiger que la SAFER se porte acquéreur de la totalité des biens aliénés, aux prix et conditions de la vente, la SAFER disposant dans ce cas de la possibilité de rétracter son offre, ces options n’étant en réalité ouvertes qu’au vendeur dans le cadre de ventes amiables reçues devant notaire, inapplicables en matière d’adjudication.

Il y a lieu de saluer cette décision, qui réfute la procédure dont la SAFER a entendu se prévaloir et qui aurait porté une atteinte considérable aux droits de la procédure collective et de ses créanciers.

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