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Czabaj ne passera pas !

Jean Philippe Ruffié

Jean Philippe Ruffié

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27.05.2024 actualités Droit public

(Cour de Cassation assemblée Plénière 8 mars 2024 n°21-12.560 et n° 21-21.230, publiés au bulletin)

Par deux arrêts d’assemblée plénière, la Cour de cassation a privilégié, le 8 mars dernier, la divergence jurisprudentielle à l’application harmonisée de la jurisprudence Czabaj.

La haute juridiction rend ce faisant, inaccessible l’accès à son ordre au « délai Czabaj ».

Pour rappel, par un arrêt du 13 juillet 2016, n°387763, le Conseil d’Etat est venu, au nom de la sécurité juridique, conditionner la recevabilité des requêtes à l’encontre des décisions administratives ne comportant ni les voies, ni les délais de recours, à l’expiration d’un délai raisonnable d’un an :

« 5. Considérant toutefois que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu’en une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable ; qu’en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance ; »

Bien qu’ayant fait l’objet de nombreuses critiques, cette jurisprudence, une fois encore au nom de la sécurité juridique, s’est infusée au fil des décisions du Juge administratif dans de nombreux domaines du contentieux administratif tels que, notamment,  les actions des tiers aux contrats (CE, 19 juillet 2023, Société Seateamaviation, n°465308), les titres exécutoires (CE, 9 mars 2018, Communauté d’agglomération du pays ajaccien n°401386) ou encore récemment, les litiges relatifs à l’accès aux documents administratifs (CE, 11 mars 2024, Ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse contre Société CCM Benchmark Group n°488227).

Cet engouement expansif pour cette jurisprudence quelque peu sévère pour les justiciables a eu des échos importants au-delà des seules instances administratives, interrogeant alors les autres ordres juridictionnels.

Ainsi, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a eu à connaitre de la conformité de celle-ci avec le droit d’accès au juge (décision du 9 novembre 2023, n°72173/17).

Si la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’a pas accepté, au nom même du principe de sécurité juridique, l’application rétroactive du délai « Czabaj » , elle en a néanmoins validé le fondement en jugeant que l’atteinte à l’article 6§1 de la CEDH n’était pas excessive.

La Cour de cassation ne l’a pas entendu ainsi.

Dans ces affaires, si la Cour d’appel de Rouen n’a pas appliqué la jurisprudence du Conseil d’État, la Cour d’appel de Metz, en a, cette fois, fait application. Saisie à l’encontre des arrêts rendus par ces deux juridictions, la Cour de cassation a refusé d’aligner sa position, sur celle du Conseil d’Etat et cela en distinguant notamment les règles propres du contentieux administratif, de celles applicables au contentieux civil, la Cour de cassation considérant, in fine, que « (…) Le maintien de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui se justifie par les principes et règles applicables devant le juge civil, permet un juste équilibre entre le droit du créancier public de recouvrer les sommes qui lui sont dues et le droit du débiteur d’accéder au juge. (…) ».

Madame Bérénice EMPAIN, Etudiante en Master II de droit et pratique des contentieux publics (université de Bordeaux)

Me Jean Philippe RUFFIE, Cabinet LEXIA, Avocat à la Cour, spécialiste en droit public, spécialiste en droit de l’environnement.

                            

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